L'Ardenne entre bruyère et myrtille, entre violet rosé et bleu ardoise, entre fleur et fruit, entre lande et forêt. Humbles arbrisseaux pour humbles paysans.

La bruyère sous la dent du mouton et la myrtille sous celle de l'Ardennais.

La bruyère symbolise la lande millénaire, l'image oubliée d'une région métamorphosée. La myrtille représente un lambeau de la préhistoire et de la civilisation des cueilleurs. Sa récolte permet de vivre moins mal, mais se paye d'un dos meurtri. Qu'importe ! N'est-ce pas là le quotidien de nos aïeux ? Le nez dans le sillon, ils fécondent leur maigre terre de leurs gouttes de sueur. Le grand et bien nommé La Bruyère les a admirablement décrit dans leur courage et leur générosité dans l'effort. Souvent misérables, ils ont "fonctionné", parfois bestialement, ployant sans rompre, prenant sur eux les affres du moment. Mais toujours, l'espoir d'une génération libérée du travail abêtissant les a habités. Cette levée est là aujourd'hui, étonnée parfois de se trouver debout, droite, indépendante. Et comme l'enfant lors de ses premiers pas, elle se raccroche aux parents, aux valeurs qui l'ont conduite au XXIème siècle.

Ainsi, l'Ardennais actuel n'est-il que la fleur en bouton d'une plante à l'épanouissement lent et solide, les racines rivées dans un riche terreau. Sa floraison nécessite la conservation de ce substrat séculaire. Si on lui enlève ou qu'il croit s'en passer, il se perd de vue, se standardise.

C'est de ce long mûrissement dont il s'agit dans les pages qui suivent.

Le terrain d'investigation en est une communauté villageoise comme tant d'autres sur notre terre chiche. A peu de variantes locales près, elle représente les mêmes difficultés auxquelles l'Ardennais s'est heurté depuis la Révolution.