Le concept de «proto-industrialisation»6 appartient à la seconde catégorie. Basé sur des données techniques, professionnelles, démographiques, économiques, parfois connues de longue, voire de très longue date, il propose un modèle intégré de la période précédant la révolution industrielle. Les facteurs techniques, avec leurs exigences au niveau du personnel, et démographiques, avec leurs exigences au niveau des subsistances, y sont privilégiés. Le rôle de l’industrie domestique y est naturellement central, tant comme agent formateur de groupes professionnels expérimentés que comme agent destructeur des structures familiales et rurales anciennes, et par là même de paupérisation.

La question soulevée n’est pas mince. L’industrie du plat pays, abondamment étudiée, mérite-t-elle à la fois tant d’honneurs et tant d’opprobre? La vérification méritait au moins d’être tentée.

Permettant la jonction de l’histoire-problème et de l’histoire régionale7, le Pays de Herve a paru le cadre idéal où la situer. Hinterland des villes de Liège, Verviers, Maastricht et Aix-la-Chapelle, le pays de Herve est célèbre depuis le XVIe siècle pour la couverture inhabituelle de son sol et la saveur odorante de ses fromages.

Politiquement pourtant peu de choses le distinguent de ces voisins. Ici, comme ailleurs, règne l’enchevêtrement des souverainetés. Bien sûr l’essentiel du terrain est occupé, au Nord et à l’Est, par le Duché de Lim-bourg, le Comté de Dalhem et les autres Pays d’Outre-Meuse, parties intégrantes des Pays-Bas espagnols, puis autrichiens. Et à l’Ouest, c’est la Principauté de Liège qui domine, presque jusqu’au cœur du plateau, avec d’un côté le quartier d’Amercœur, l’un des cinq quartiers fiscaux qui constituent la Cité de Liège elle-même, et l’avouerie de Fléron, qui s’avance jusqu’à un jet de pierre de la ville de Herve, avec de l’autre côté le marquisat de Franchimont et la ville de Verviers.

Mais la ville libre d’Aix-la-Chapelle y possède également des terres; la seigneurie libre de Bolland est, à proprement parler, indépendante; la terre de Fouron-Saint-Pierre appartient à l’ordre des chevaliers teutoni-ques et releve directement de l’Empire; les Provinces-Unies enfin réussissent une percée, consacrée par le traité de Munster, et s’approprient la moitié du comté de Dalhem.