Le champ de l'esthétique, qui fut travaillé avec tant de succès par les artistes viennois du tournant de siècle, reposa pendant trois générations - jusqu'à ce que Friedensreich Hundertwasser en fasse la moisson.

Hundertwasser a accompli des choses remarquables. Sa réputation n'est plus à faire et il a aidé l'art autrichien à retrouver son prestige international. Il est aujourd'hui célèbre dans le monde entier, et Vienne - une ville que l'on disait morte dans les années cinquante - a retrouvé l'éclat scintillant du passé. Hundertwasser est écouté dans le monde entier; son art et sa philosophie se sont souvent heurtés à une violente critique, mais sa vision de l'avenir s'est avérée tout à fait juste; aujourd'hui déjà, l'époque semble décidée à confirmer ses opinions. Son art peut être considéré comme une véritable alternative aux futilités d'autres domaines de l'art moderne; son travail réfute des légions de représentants des arts plastiques - surtout les successeurs de Duchamp.

Dans l'œuvre de Hundertwasser, rares sont les choses soumises aux lois d'une stricte logique. Contrairement à ce qu'il déclare en publi, c'est un sensualiste qui donne tout sans réserve, généreusement et sans la moindre trace du réductionnisme minimaliste par ailleurs en vogue. Dans son œuvre, c'est l'objet lui-même qui se trouve au premier plan, et non ses implications. Il évite de faire de la théorie, il comprend mieux ce que l'on peut expérimenter avec les sens. On ne trouve guère de pures spéculations dans son art introspectif.

Comme il fallait s'y attendre, cela a irrité et troublé beaucoup de critiques aux idées prosaïques, car ils supposaient qu'un art aussi rationnel que celui de Hundertwasser devait également être d'une logique inébranlable. D'autres ont pourtant pris plaisir à la somptuosité de couleurs dont il paraît ses objets. Ses tableaux sont un apaisement, une voluptueuse oasis dans le désert de la sobre théorie. Les réflexions esthétiques de l'art conceptuel ont certainement aussi de la valeur, mais elles risquent de négliger la beauté de l'objet. Loin d'être un logicien, Hundertwasser se laisse plutôt qualifier de philosophe pastoral.

Depuis quarante ans, Hundertwasser travaille passionnément comme artiste et comme artisan; il s'est fait une place de premier ordre parmi ceux qui réalisent leur travail artistique avec un savoir-faire artisanal et ne le considèrent pas comme la simple illustration d'une idée. L'adresse et le savoir-faire sont aujourd'hui, à la fin du XXe siècle, de nouveau reconnus et récompensés. Pendant des dizaines d'années, la représentation figurative n'était plus à la mode dans le domaine artistique; avec son retour, le mythe personnel présente à nouveau de l'attrait. Après une génération de coloristes minimalistes, la richesse des couleurs de Hundertwasser trouve en outre des admirateurs en vertu du simple constraste. Et pour finir, Hundertwasser, qui s'est engagé dans beaucoup de problèmes extérieurs à l'art, a une attitude non dogmatique vis-à-vis des rapports existant entre la société et l'art. Il n'est pas l'homme qui jetterait par-dessus bord l'humanité pour servir l'esthétique, et sa modération garantit que ses opinions ne présentent jamais de traits fanatiques.