C’est en 1936 que je rencontrai pour la première fois Edgar Gevaert. Il avait quarante-cinq ans, j’en avais dix-huit - lui, l’expérience de la vie et une carrière déjà bien remplie; moi, toute l’insouciance, la curiosité et l’enthousiasme de la jeunesse. Notre professeur de rhétorique - qui avait le louable et rare souci de nous initier et de nous intéresser à la littérature, à la musique et aux arts tout autant qu’au grec et au latin - nous avait amenés ce jour-là à Laethem-Saint-Martin visiter quelques ateliers d’artistes.

La matinée fut consacrée à Minne et à Servaes. Homme discret, réservé, plus timide que misanthrope, George Minne ne se montra pas. Ce fut sa femme qui nous accueillit au seuil de la grande maison blanche de la Chaussée de Courtrai. Par la porte vitrée, nous la vîmes venir vers nous, sombre et modeste silhouette. Elle nous fit entrer dans ce grand hall lumineux où étaient exposés la Fontaine aux agenouillés, une Maternité, le Débardeur, le Monument de la Paix ainsi que d’autres plâtres et marbres, tous aussi blancs que les murs qui les entouraient. De chambre en chambre, elle nous accompagna en silence, craignant, semblait-il, de nous déranger dans la contemplation des œuvres devant lesquelles elle-même témoignait d’une respectueuse mais tendre admiration.

La visite fut courte, mais nous laissa une profonde impression d’art pur, dépouillé, quasi mystique. Dominée par une haute tour, massive et ambitieuse comme celles de Damme ou de Lissewege, épaulée comme elles par de solides contreforts, la maison de Servaes se présente au passant comme un ermitage. Tel un ermite aussi, l'artiste nous accueillit revêtu d’une ample robe de bure, serrée à la taille par un large ceinturon.