C'est sur le port de San Francisco que j’ai rencontré mon premier sablier. L’objet, fait de plexiglas et de sable, était sans intérêt historique ou esthétique particulier. La complexité des lois comman

dant l’ordonnancement de la chute de ses grains m’intrigua. Toutes les disciplines de la physique s’y mêlaient : mécanique, hydraulique, résistance des matériaux, théorie des tourbillons, balistique. Et les mathématiques nécessaires au calcul des trajectoires de ces modestes particules me semblaient propres à rebuter toutes les tentatives, même en s’armant du meilleur ordinateur disponible.

Quelques mois plus tard, un ami, antiquaire parisien spécialisé dans les instruments scientifiques, passionné par l’histoire des objets au moins autant que par leur commerce, me montra un sablier d’étude du xvne siècle. Un sablier très simple, fait de deux fioles superposées, reliées par un enchevêtrement de fils recouverts de cire, enchâssées dans une monture de cuivre hexagonale portant la gravure des armes d’un prince de France. En manipulant ces flacons dans lesquels un artisan avait mis tant d’habilité, je songeais à tous les gens qui avaient attendu, espéré, en regardant couler ses grains : des marins anxieux de- connaître la position de leur navire ballotté dans la tempête, des courtisans guettant le lever du roi, des moines éveillés en sursaut pour la prière de Prime, des condamnés terrifiés dans l’attente de leur exécution, des fidèles bâillant à l’écoute de sermons trop longs, des ouvriers comptant les derniers instants d’une journée de travail à la fabrique.

Pendant des siècles, l’attente passa par le sablier. Dès lors, tout en cet objet [...]