Fin août 1949 :

J’achève mes vacances à Rochefort, près de la gare de Jemelle, sur la ligne 162 Bruxelles -Luxembourg. A l’est, les lueurs de la gare illuminent l’horizon nocturne, après la sinistre obscurité des années de guerre. Un coup de sifflet résonne et puis c ’est le tonnerre de l’échappement double Legein de la Pacifie type 10 Flamme accélérant l’express 33 Bruxelles - Bâle dans la rampe de Forrières.

Demain matin, j’irai pêcher au pied du petit pont de la ligne 150 Jemelle - Dînant qui franchit la Lomme à l’entrée de la gare de Rochefort. Les truites ne seront pas dérangées par l’arrivée du train 5363 de 12 heures 20 tracté par une des belles Atlantic type 16 rescapées du conflit, basées à Tamines.

Plus tard, dans l’après-midi, je verrai revenir le train de cabotage desservant les cours de marchandises de Jemelle à Houyet, tiré par une 030 type 44, celle-là même, peut-être, qui allait finir ses jours comme générateur de vapeur à Jemelle où je l’ai photographiée en 1967.

Enfin d’après-midi, la besace lourde de beaux poissons argentés, je regagnerai la ferme de mon grand père, près de Han-sur-Lesse, où j’ai passé les vacances qui s'achèveront demain. Je prendrai le convoi vicinal Rochefort - Wellin formé d’un autorail et deux voitures bondées de touristes en goguette en visite aux Grottes de Han. Et lundi, je reprendrai ma vie studieuse de lycéen en oubliant pour quelques mois la ligne 150, les belles coureuses aux grandes roues, les voitures de bois à trois essieux et leurs sièges si durs aux fesses des voyageurs de troisième classe, les petites gares chaulées de blanc ou d’ocre, les panaches de vapeur flottant sur les coteaux bordant les vallées de la Lesse et de la Lomme, les coups de sifflet résonnant dans le tunnel de Rochefort...

Juin 2004 :

La ligne 150 et le réseau des vicinaux sont déferrés. Les petites gares sont aujourd’hui des résidences secondaires, paradis des nains de jardin. L’automobile a conquis les anciennes emprises de voies, aujourd’hui bétonnées. Des glorieuses Pacifie type 10 du grand ingénieur Flamme, il ne reste qu’un exemplaire en triste état dont on ne sait s’il sera un jour restauré pour un hypothétique musée avant que la rouille n ’en vienne à bout pour toujours. Le XXe""' siècle est passé par là. Il nous reste le trésor d’images rassemblées par Pascal Dumont et Olivier Geerinck, émouvantes et belles, évoquant le monde ferroviaire de la Gaume et des Ardennes françaises et belges, de Momignies à Dinant, d’Athus à Hirson, en passant par Rochefort, Charleville, Longwy, Givet, Sedan et Verdun. Au hasard de nos vagabondages sans frontières, nous retrouverons le grand chemin de fer mais aussi les secondaires, CFDA en France, vicinaux en Belgique, qui s’y raccordaient autrefois pour faire prospérer les campagnes éloignées.

Savourons donc ces témoins précieux d’un passé révolu, découverte pour les uns, rappel nostalgique pour les autres, bonheur pour tous. Mais surtout ne nous enlisons pas dans la nostalgie et sachons apprécier les chemins de fer d’aujourd’hui, aussi spectaculaires et excitants à leur façon que leurs grands ancêtres du temps de la vapeur.

En Belgique, la grande ligne Athus - Meuse, menacée voici peu d’années, est aujourd’hui électrifiée pour faire face au trafic lourd des marchandises. Ses autorails élégants et modernes sont appréciés des voyageurs pour leur confort et leur vitesse. De grands travaux sont prévus pour réduire les temps de parcours sur la ligne du Luxembourg. En France, l’artère Hirson - Charleville - Longwy est en plein essor et la Région Champagne-Ardennes renouvelle son parc de matériel avec quinze nouveaux autorails diesels. Une volonté politique se manifeste enfin en faveur du chemin de fer, après tant de cadeaux accordés au transport routier. L'avenir est ouvert pour le chemin de fer dans nos Ardennes, et nos auteurs ont su en témoigner.

Bonne lecture.