Le 28 mai 1940, à 4 h du matin, le feu cessait sur le front belge. Quatre heures plus tard, la voix tour à tour métallique et nasillarde de Paul Reynaud déversait sur les troupes belges et sur le Roi un tombereau d’injures et d’accusations de trahison. Une plaie était brutalement ouverte. Cinquante ans n’ont pas suffi à la cicatriser car, avec une sorte de délectation morose, les Belges eux-mêmes l’ont soigneusement entretenue.
Des circonstances entourant le dépôt des armes, il a fallu souligner les ombres et les clartés, retracer l’enchaînement implacable des faits et l’incompréhension grandissante entre notre commandement, s’estimant abandonné à son sort, et les états-majors alliés. Quoi qu’on en ait dit, ou quoi qu’on dise encore, ces derniers furent dûment prévenus de ce qui allait se passer. Ils firent la sourde oreille. De notre côté, une fois la décision fatidique prise, il faut bien reconnaître qu’il y eut, avec une maladroite naïveté quant aux intentions prêtées à l’ennemi, une certaine «hâte d’en finir», honorable par le souci de ne pas sacrifier inutilement des vies et d’éviter des destructions. Elle ne pouvait que donner corps à la légende noire continuant à entourer la cessation du feu par notre armée et la fixation du sort ultérieur de celle-ci.
La légende noire naquit du double souci des gouvernements français et belge. Paul Reynaud voulait donner un coup de fouet à l’opinion publique française et expliquer le désastre de ses armées en fournissant un bouc émissaire commode aux angoisses de tout un peuple. Le gouvernement Pierlot essayait de renforcer sa légitimité et de protéger nos réfugiés des réactions hostiles françaises en accentuant sa rupture avec le Roi. Coincé entre les exigences de Reynaud et l’aventure proposée par certains parlementaires, le Gouvernement s’efforça, de maintenir une attitude constitutionnelle et légaliste, tout en se livrant aux inévitables concessions à une opinion surexcitée. A Limoges, face à une assemblée houleuse, Pierlot et Spaak sauveront l’institution monarchique mais devront, compte tenu des circonstances, prononcer certaines phrases que le temps n’effacera pas et qui maintiendront béante la déchirure. Proclamant leur volonté de continuer la lutte aux côtés des Alliés, les ministres fondaient tous leurs espoirs sur la rentrée en lice d’une nouvelle armée belge. La défaite de la France tua leurs illusions et plaça dans une situation difficile les faibles unités reconstituées et la masse des «16-35 ans» que le même souci de «refaire 14-18» avait lancée sur les routes de l’exode.
Eté 40, été des décombres. Les démocraties occidentales n’ont pas vaincu, parce qu’elles n’étaient plus les plus fortes. Il leur faudra revoir la lumière au bout du long tunnel de l’occupation. Les illusions dont nous nous étions bercés n’ont pas résisté à la dure épreuve des faits, pas plus que les «positions imprenables» à la ruée de la Wehrmacht. L’avenir est fait d’inconnues, mais on pressent qu’il sera sombre. Dans sa tanière de Brûly ou à la recherche de son passé obscur, Hitler nous préparait un avenir plus sombre encore...
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