Il n’y a guère d’intelligence sans mémoire et, cependant, les aménagements urbains acquièrent, lorsqu’ils sont achevés, une telle présence, qu’ils effacent les images qui les précédaient.

L’a.s.b.l. «Homme et Ville» a eu l’heureuse initiative de tisser les fils de la mémoire de Liège, ce qui ne peut que renforcer la connaissance qu’ont les liégeois d’eux-mêmes. Se souvenir ne doit pourtant pas être prétexte à nostalgie. Considérons plutôt cette mémoire du passé comme leçon d’avenir.

Au XXe siècle, la pensée scientifique, ou se voulant telle, et les valeurs esthétiques qui l’escortaient ont donné aux villes un aspect en totale rupture avec leur essence même.

La ville est devenue objet. Un objet que l’on croit pouvoir isoler de tout ce qui l’a produit. Observons deux aménagements de grande échelle mais de siècles différents : Droixhe d’une part (XXe siècle) qui n’est pourtant qu’un exemple modéré de l’aménagement «moderniste» et la percée de la rue Léopold d’autre part (XIXe siècle). Il apparaît au moins une différence fondamentale. La pensée moderniste fait table rase de l'histoire : La ville «modèle» projetée ne peut s’insérer dans la ville historique. Cette dernière doit lui faire place totalement. Par contre, les travaux du XIXe siècle, tout énormes et bouleversants qu’ils furent, se raccordaient au tissu urbain médiéval. Les plaies qu’ils causaient cicatrisaient.

Mais aujourd’hui, les percées sont autoroutières. Elles laissent les murs aveugles, les pignons dénudés, les parcelles non bâtissables, les quartiers isolés...

Les maladies urbanistiques peuvent se comparer à une indigestion. Le paysage de Liège n’a pas encore digéré certains travaux hors d’échelle. Les avatars du chantier de la Place Saint-Lambert illustrent à souhait la maxime «les yeux plus grands que le ventre». Traversant les causes de la «révolution» de Liège, cette exposition a le mérite de rendre visible ce qui a été détruit, de souligner ce qui nous est advenu...

Rendre à chaque citoyen sa Cité, dans une ville que chacun puisse reconnaître comme sienne, c’est un espoir que suscite cette initiative «d’Homme et Ville». Apprendre quelles furent les erreurs et les réussites du passé et en comprendre les raisons. Cette remarquable exposition nous y conduit.