Les gens intéressants ne disent jamais : «Ça suffit», ne disent jamais : «C'est bon comme cela». Ils disent : «Encore», ils disent : « Et puis? » et ils rêvent d'aller au-delà des mots des autres avec leurs mots à eux.
Très vite j'ai compris que jaillirait du jeune homme Tournay une œuvre. La double fièvre du regard et des mots ne trompe pas : à tant de jeunes déserts, il opposait des attentes de Vésuve.
Et le premier recueil vint,
D'ECORCE ET DE PLAINTE (1975), avec ce qu'il faut de mélancolie et de je pour purger l'adolescence, avec
«Ne sont qu'hivers tous mes printemps» ou cet aveu plus personnel :
«Et c'est hélas l'été».
Une âme s'ébroue dans ces premiers vers, qui sont bons, et secoue les souvenirs d'école et les premières expériences de la vie, mais flaire aussi, à l'épaule des traditions familiales — «mon bûcheron de père» —, l'appel de la forêt qui le disputera aux sagesses professionnelles.
A FORCE DE HACHE (1978) dit la voie trouvée. Jean-Claude Tournay a repris les chemins d'enfance qui le conduisaient au-devant de la forêt. Mais ce n'est pas elle qu'il célèbre, ou pas elle telle qu'en elle-même. La forêt est le lieu d'un ample poème épique où tout est mouvement, rythme, exaltation ; où l'arbre est tour à tour gibier, victime d'un sacrifice rituel, musique, fête de couleurs ou enfer; où passent le vent et les saisons, et le geste meurtrier des hommes :
« Je connais des arènes où l'on abat des lots troupeaux qui ne cherchaient qu'à brouter haut l'herbe paisible des nuages. »
Et le poète confie :
« je scie
je sue
je vis
manuel et orgiaque».